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V-Privilège royal à Marie de Gournay, L'Ombre, Paris, Jean Libert, 1626 (BmL 305071).
V-Privilège royal à Marie de Gournay, L'Ombre, Paris, Jean Libert, 1626 (BmL 305071)

Dans la France d'Ancien Régime, un livre nouvellement imprimé devait paraître sous privilège pour être considéré comme licite. Les lettres de privilège ou lettres de permission d'imprimer, également qualifiées de privilège d'impression, ou encore de privilège en librairie ou de librairie pour les distinguer des autres privilèges commerciaux, constituaient alors une grâce fondée en justice. Octroyées par une autorité de justice telle que la chancellerie royale – les ordonnances de Mantes (10 septembre 1563) et de Moulins (février 1566) formulent explicitement l'obligation de la permission royale pour toute impression d'un livre nouveau –, le parlement (de Paris ou de province) et les juridictions subalternes (bailliages, sénéchaussées, présidiaux, prévôtés), elles assuraient un « monopole d’impression et de diffusion d’un texte ou d’un ensemble de textes accordé par le pouvoir royal ou une autorité de justice à un auteur ou à un libraire pour une durée déterminée »[1]

Elles avaient force de loi dans le ressort où elles avaient été octroyées, de sorte que reproduire un livre couvert par un privilège dans ledit ressort relevait de la contrefaçon.

Le premier privilège de librairie connu en France date de 1498. D’une durée de cinq ans, il a été délivré par la chancellerie royale à l’imprimeur Johannes Trechsel pour un livre intitulé Explanatio in Avicenne canonem, par Jacques Despars (Lyon). Les dernières lettres de privilège inscrites dans le Registre des privilèges accordés aux auteurs et libraires pour les années 1788-1790 ont quant à elles été octroyées par Louis XVI au « Sr Langlois Pere », libraire à Paris, le 21 juillet 1790, afin qu’il puisse « donner incessamment au Public l’ouvrage intitulé Etrennes intéressantes des quatre parties du monde et des troupes de France ».

De 1498 à 1790, le pouvoir monarchique n'a eu de cesse de légiférer en matière de privilèges, laissant un vaste corpus jurisprudentiel dont la lecture est instructive. Elle permet de saisir l'histoire mouvante d'un « système » qui a durablement encadré le régime éditorial français, de comprendre dans quel esprit il a été conçu et façonné, d'appréhender les grands facteurs de contrainte – économiques, politiques, religieux – qui ont guidé son évolution jusqu'à son abolition, de cerner les objectifs qui lui ont été assignés par les pouvoirs en place et les différents acteurs du livre, mais aussi les usages que ces derniers en ont fait.

À l’intention d’une communauté de chercheur.ses ou d’un public d’amateur.trices qui ne se seraient peut-être jamais penché.e.s sur les privilèges des livres anciens qu’ils consultent, qui les liraient sans vraiment les analyser, ou n’y verraient qu’une formalité de publication ou un repère dans le parcours éditorial, le site Privilèges de librairie propose des ressources pour se familiariser avec cet objet.

Le site offre également une base de données numérique des privilèges, qui ouvre la voie à l’analyse de textes méconnus et complexes, se situant au croisement de l’histoire des institutions de l’Ancien Régime, de l’histoire du droit et des droits d’auteur, de l’histoire économique, ainsi que de l’histoire du livre et de l’histoire sociale et culturelle.

[1] Jean-Dominique Mellot, article « Privilège », Dictionnaire encyclopédique du livre, P. Fouché, D. Péchoin, P. Schuwer (dir.), et la responsabilité scientifique de J.‑D. Mellot, A. Nave et M. Poulain, Paris, éd. du Cercle de la Librairie, t. III, 2011, p. 378.